A) Critiques :
L'anthropologie structurale de Lévi-Strauss est plus attentif aux formes abstraites (les modèles hypothético-déductive) qu'aux rapports réels auxquels celles-ci réfèrent, aux discours que les sociétés tiennent sur elles-mêmes (le langage de la parenté, le langage de la mythologie) qu'aux pratiques sociales (le fonctionnement concret de ces systèmes).
Lévi-Strauss situe hors du temps et de l'histoire les structures logiques qui sont censées régir la société ; de substituer la relation logique à la relation humaine.
Le structuralisme en anthropologie doit s'arrêter, là où s'arrête la structure, c'est-à-dire qu'il faut reconnaître que la contingence, l'histoire ou les systèmes approximatifs font parti, autant que les structures, de la société ; que la synchronie ne remplace pas la causalité ; que l'invariance n'exclut pas le changement. Ensuite, si l'on peut considérer tous les systèmes culturels comme des langages, comme des systèmes de communication, ils ne sont pas pour autant tous régis par une structure formelle qui serait indifférente soit à leur conditions d'échange, soit à la nature des éléments qui les composent. Si tel est le cas pour le système de la langue et le système de parenté, il n'en est pas de même pour d'autres systèmes socio-culturels comme le rituel ou le système politique. Pour Lévi-Strauss, la réciprocité tient lieu du politique et serait dans ce sens la marque même de son absence dans les sociétés primitives. Or, l'efficacité de l'échange politique dépend des choses que l'on y met en circulation (le bien, la violence, la menace). En outre, le pouvoir ou le prestige acquis dans une telle relation affecte à son tour les conditions mêmes de l'échange et les transforme.
Lévi-strauss en postulant une définition de l'observation qui écarte aussi bien l'expérience vécue de l'ethnographe que les expériences et les théories indigènes, accorde une place prépondérante aux procédures inductives dans le travail de l'anthropologue, ce qui pose un certain nombre de problèmes par rapport à la pratique concrète de terrain de l'anthropologue et à la manière dont celui-ci s'y prend pour construire sa connaissance théorique, comme par rapport aux autres déclarations méthodologiques prononcées par Lévi-Strauss lui-même et aux procédures effectives qu'il met en œuvre dans la construction de ses objets.
Lévi-Strauss rend problématique le lien entre l'observation et les prémisses de l'expérience personnelle. Il rend aussi caduque la définition qu'il donne par ailleurs du "fait social total" qui ne "signifie pas seulement que tout ce qui est observé fait partie de l'observation; mais aussi, et surtout, que dans une science où l'observation est de
Quand Lévi-Strauss affirme également que "les faits doivent être étudiés en eux-mêmes", il postule une conception de la réalité extérieure à l'observateur, qui ne rend pas compte de la tension caractéristique, de l'appréhension totale des phénomènes sociaux, c'est-à-dire à la fois du "dehors" comme une "chose" et du "dedans" comme une "subjectivité ".
B) Actualité de la question et intérêt pour les sciences de gestion :
Si toutes les entreprises peuvent se définir comme des unités élémentaires de production, le concept d’"entreprise" couvre des dimensions, des statuts et des structures singulièrement divers.
Le vocable est ambigu: il vise ou visait encore voici peu aussi bien la "libre entreprise", de style "occidental", que l’entreprise socialiste (U.R.S.S. et démocraties populaires de naguère), ou encore, comme pour la France, un établissement dont l’activité dépendait certes du marché, mais recevait du plan des informations, des sollicitations, des pressions et subissait de l’État d’innombrables contraintes.
L’entreprise française embrasse des unités dont les modes de fonctionnement, les dimensions et, selon les époques, les finalités ne sont guère comparables. Le secteur public, dont la géométrie et la consistance ont connu de fortes évolutions depuis le début des années quatre-vingt (établissements publics à caractère industriel et commercial, sociétés nationales d’économie mixte, sociétés à capital majoritairement public), rassemblait, au 1er janvier 1991, environ 2 500 entreprises (filiales et sous-filiales comprises); celles-ci employaient 1 348 000 salariés et réalisaient, dans les diverses branches industrielles (hors énergie, agroalimentaire et bâtiment et travaux publics), près de 20 p. 100 du chiffre d’affaires de ces dernières. La période récente a vu les entreprises du secteur public affirmer fréquemment la nécessité d’exercer leurs activités économiques selon des exigences de rentabilité naguère réservées aux seules entreprises privées. La taille des premières, généralement importante, les distingue cependant au sein d’une économie française qui compte une immense majorité de petites entreprises: sur 3 125 000 établissements, au 1er janvier 1989, 94 p. 100 employaient moins de dix salariés. À la même date, les mille plus importantes entreprises du pays, en termes d’effectifs, employaient près de 3,8 millions de personnes (33 p. 100 du total des effectifs), tandis que les mille premières en termes de chiffre d’affaires représentaient 38 p. 100 des chiffres d’affaires cumulés de l’ensemble des entreprises soumises aux bénéfices industriels et commerciaux.
La classification traditionnelle entre "petites", "moyennes" et "grandes" entreprises privées n’est d’ailleurs pas fondée sur des critères satisfaisants. On peut en effet prendre en considération la puissance financière résultant de l’importance des capitaux propres figurant au passif des bilans publiés; ou la puissance commerciale, en tenant compte seulement du chiffre d’affaires; ou la dimension sociale, en dénombrant les salariés. D’autres clivages, moins évidents, résulteraient du statut juridique (sociétés de personnes et sociétés de capitaux, mais aussi, parmi ces dernières, sociétés anonymes et S.A.R.L., S.I.C.A.V. et sociétés en commandite par actions, etc.), du statut fiscal (entreprises assujetties ou non à l’impôt sur les sociétés, entreprises admises ou non au bénéfice du forfait, etc.), des liens économiques ou financiers et de leur zone d’influence (holdings, participations, cartels, etc.), des caractères proprement sociologiques (entreprises dites "familiales" et entreprises de type bureaucratique, management "à l’américaine" et gestion paternaliste, etc.), enfin des liens avec l’État (groupes de pression), avec l’étranger (succursales, filiales), et de la valeur patrimoniale, elle-même complexe (valeur de capitalisation boursière, valeur mathématique de rentabilité, valeur de fusion, etc.). D’autres paramètres de classification pourraient intervenir: le degré de spéculation, d’intégration, d’autonomie financière, le nombre et la variété des produits et sous-produits fabriqués ou commercialisés, la part du marché contrôlée par l’entreprise, l’importance de son cash-flow, de son taux annuel d’expansion, le nombre et la répartition géographique de ses établissements, etc. Parmi les grandes entreprises, l’écart de dimension entre l’affaire américaine et l’affaire européenne était encore très grand au début des années soixante-dix. Ce n’est plus vrai aujourd’hui, si l’on se réfère aux classements selon le chiffre d’affaires publiés annuellement (Fortune , L’Expansion , Le Nouvel Économiste , etc.): quarante et un des cent premiers groupes industriels mondiaux étaient, en 1990, situés en Europe communautaire, contre vingt-huit aux États-Unis et dix-huit au Japon. La France (dix groupes) venait après l’Allemagne fédérale (treize groupes), avant le Royaume-Uni (sept), l’Italie (cinq), les Pays-Bas (trois), l’Espagne (deux) et la Belgique (un); il est vrai que le premier des six groupes français classés parmi les cinquante plus importants dans le monde, ne se trouvait qu’en vingt-huitième position (Elf Aquitaine).
En fait, l’entreprise peut être appréhendée de plusieurs manières. Pour l’économiste, elle résulte de l’agencement de facteurs différents: travail, capital, nature; pour le sociologue, elle est une distribution de rôles et de statuts; pour le financier, elle est une source de profits et d’investissements; pour le juriste, elle est une variété de contrat; pour la puissance publique, elle est un contribuable, un instrument d’expansion économique et le siège de divers conflits sociaux (grèves, revendications diverses); pour l’opinion publique, elle est d’abord une "image". La gestion d’une entreprise ne peut donc pas revêtir la même signification pour tous. Derrière les techniques subsiste une dimension "affective" considérable: aucun entrepreneur capitaliste ne prétend et ne croit travailler exclusivement pour le profit, mais aucun chef d’entreprise ne pourrait durablement assumer ce rôle en méprisant le profit. Cependant l’entreprise doit à chaque instant composer avec l’État, ses dispositions fiscales, monétaires ou financières. Cette circonstance ainsi que l’éthique de ses dirigeants, les caprices de sa clientèle, les exigences de son banquier, les tribulations de la conjoncture infléchissent la pure rationalité de tous ses calculs.
Car il n’est pas de définition univoque de la rationalité économique et, donc, de la meilleure démarche pour atteindre le profit maximal. Le style de gestion n’est pas un, qui permettrait de choisir à coup sûr entre les différentes stratégies du profit maximal: à court terme et à long terme, en visant le plus avec les plus grands risques (maximax) ou un minimum aux moindres risques (minimax), en refusant ou en intégrant tel ou tel type de contrainte extra-économique, comme le climat des relations humaines dans l’entreprise, le degré de satisfaction des salariés, des cadres, des actionnaires, des obligataires, des fournisseurs et des clients, la sécurité des emplois, le prestige de la marque, l’indépendance financière et politique, la pérennité de l’entreprise dans un marché aux dimensions mondiales.
Ainsi, le "management" moderne, l’application systématique de la plupart des techniques scientifiques de gestion résultent-ils de l’"environnement". Malgré une très réelle généralisation de la réflexion sur l’entreprise, au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, il faut reconnaître qu’en Europe les grands groupes intégrés, capables de s’adapter presque chaque jour à l’innovation, sinon d’en permettre le déploiement, sont les plus à même de mettre en œuvre toutes les possibilités ouvertes par les techniques nouvelles de management.
En fin de compte, si beaucoup d’éléments socio-économiques interviennent pour qualifier la gestion d’une entreprise – en particulier sa rentabilité et son taux d’expansion, sa vulnérabilité commerciale et financière et l’importance de ses responsabilités sociales –, c’est encore la structure de pouvoir qui paraît constituer le critère décisif. Il y a déjà longtemps que théoriciens et praticiens de l’entreprise, tirant les leçons de l’évolution même des marchés, se sont accordés technologie, marketing, statistique, économie, droit commercial et bancaire, fiscalité, mathématiques financières, calcul des probabilités, comptabilité analytique, psychosociologie et informatique. Une très forte culture générale précédant une spécification très poussée sera de plus en plus nécessaire aux cadres supérieurs et, dans une moindre mesure, au middle-management . La formation permanente de ces cadres (recyclage) est largement entrée dans les mœurs à la fois sur l’inéluctable mouvement de concentration qui aboutit à des unités de très grandes dimensions et sur la mise en place, en conséquence, d’une gestion décentralisée en regard de laquelle le mode de commandement traditionnel, rigide et centralisateur, encore familier aux petites entreprises de type paternaliste, paraît définitivement périmé. Cette évolution du pouvoir, nullement incompatible d’ailleurs avec l’unité de commandement, traduit sous des formes diverses l’effacement relatif à la fois des actionnaires, de la main-d’œuvre non spécialisée et du "patron" omnipotent, au bénéfice des dirigeants et des cadres supérieurs. C’est, comme on a pu l’écrire, l’"ère des organisateurs" qui s’est installée. Quelle que soit son appellation – décentralisation des pouvoirs, "direction participative par objectifs", technocratie –, elle sanctionne la fin progressive de l’empirisme, du seul "flair" dans les affaires, de la petite dimension (sauf dans certains secteurs, telles les prestations de services), du népotisme familial, de la primauté de la fabrication sur la vente, du financement de l’expansion à partir de capitaux en majorité étrangers au bénéfice d’exploitation, de la hiérarchie rigide, de la rentabilité limitée, de l’esprit routinier et conservateur.
On peut penser que la gestion des entreprises (management), qui ressemblait assez à un art à tous les niveaux de responsabilité au siècle dernier, n’est restée telle qu’au sommet du commandement, là où il n’est désormais question que de stratégie. Pour ce qui est de la tactique, la plupart des aspects modernes de la gestion des entreprises relèvent de la science et plus précisément de l’interdisciplinarité entre des sciences bien différentes:Parmi les caractères majeurs de cette évolution récente du management, on retiendra: en premier lieu, l’effondrement d’une conception militaire, bureaucratique, ou paternaliste de la gestion, au bénéfice d’un style différent de relations humaines, procédant de la décentralisation, des responsabilités et des pouvoirs; en second lieu, l’apparition d’une exigence qui prime désormais tous les problèmes de production, à savoir la nécessité de vendre et de savoir, d’avance, à qui, quand et par quels moyens, dans un double contexte de marchés de plus en plus ouverts et de demande solvable rare. Cette priorité de la vente sur la production a ainsi engendré une science à peu près inconnue dans l’Europe d’avant guerre: le marketing. Mais promouvoir l’expansion signifie aussi qu’on transformera complètement les relations dans l’entreprise, en adaptant celle-ci aux découvertes de la dynamique des groupes. L’impératif de l’innovation, l’adaptation de fréquence élevée à un environnement mouvant, la compétition sur une échelle élargie, l’établissement du contrôle budgétaire et l’utilisation de la comptabilité analytique, les préoccupations sociales du chef d’entreprise, enfin et surtout l’extraordinaire développement de l’informatique: toutes ces circonstances influent sur les structures mêmes de pouvoir dans l’entreprise.
L'anthropologie structurale de Lévi-Strauss est plus attentif aux formes abstraites (les modèles hypothético-déductive) qu'aux rapports réels auxquels celles-ci réfèrent, aux discours que les sociétés tiennent sur elles-mêmes (le langage de la parenté, le langage de la mythologie) qu'aux pratiques sociales (le fonctionnement concret de ces systèmes).
Lévi-Strauss situe hors du temps et de l'histoire les structures logiques qui sont censées régir la société ; de substituer la relation logique à la relation humaine.
Le structuralisme en anthropologie doit s'arrêter, là où s'arrête la structure, c'est-à-dire qu'il faut reconnaître que la contingence, l'histoire ou les systèmes approximatifs font parti, autant que les structures, de la société ; que la synchronie ne remplace pas la causalité ; que l'invariance n'exclut pas le changement. Ensuite, si l'on peut considérer tous les systèmes culturels comme des langages, comme des systèmes de communication, ils ne sont pas pour autant tous régis par une structure formelle qui serait indifférente soit à leur conditions d'échange, soit à la nature des éléments qui les composent. Si tel est le cas pour le système de la langue et le système de parenté, il n'en est pas de même pour d'autres systèmes socio-culturels comme le rituel ou le système politique. Pour Lévi-Strauss, la réciprocité tient lieu du politique et serait dans ce sens la marque même de son absence dans les sociétés primitives. Or, l'efficacité de l'échange politique dépend des choses que l'on y met en circulation (le bien, la violence, la menace). En outre, le pouvoir ou le prestige acquis dans une telle relation affecte à son tour les conditions mêmes de l'échange et les transforme.
Lévi-strauss en postulant une définition de l'observation qui écarte aussi bien l'expérience vécue de l'ethnographe que les expériences et les théories indigènes, accorde une place prépondérante aux procédures inductives dans le travail de l'anthropologue, ce qui pose un certain nombre de problèmes par rapport à la pratique concrète de terrain de l'anthropologue et à la manière dont celui-ci s'y prend pour construire sa connaissance théorique, comme par rapport aux autres déclarations méthodologiques prononcées par Lévi-Strauss lui-même et aux procédures effectives qu'il met en œuvre dans la construction de ses objets.
Lévi-Strauss rend problématique le lien entre l'observation et les prémisses de l'expérience personnelle. Il rend aussi caduque la définition qu'il donne par ailleurs du "fait social total" qui ne "signifie pas seulement que tout ce qui est observé fait partie de l'observation; mais aussi, et surtout, que dans une science où l'observation est de
Quand Lévi-Strauss affirme également que "les faits doivent être étudiés en eux-mêmes", il postule une conception de la réalité extérieure à l'observateur, qui ne rend pas compte de la tension caractéristique, de l'appréhension totale des phénomènes sociaux, c'est-à-dire à la fois du "dehors" comme une "chose" et du "dedans" comme une "subjectivité ".
B) Actualité de la question et intérêt pour les sciences de gestion :
Si toutes les entreprises peuvent se définir comme des unités élémentaires de production, le concept d’"entreprise" couvre des dimensions, des statuts et des structures singulièrement divers.
Le vocable est ambigu: il vise ou visait encore voici peu aussi bien la "libre entreprise", de style "occidental", que l’entreprise socialiste (U.R.S.S. et démocraties populaires de naguère), ou encore, comme pour la France, un établissement dont l’activité dépendait certes du marché, mais recevait du plan des informations, des sollicitations, des pressions et subissait de l’État d’innombrables contraintes.
L’entreprise française embrasse des unités dont les modes de fonctionnement, les dimensions et, selon les époques, les finalités ne sont guère comparables. Le secteur public, dont la géométrie et la consistance ont connu de fortes évolutions depuis le début des années quatre-vingt (établissements publics à caractère industriel et commercial, sociétés nationales d’économie mixte, sociétés à capital majoritairement public), rassemblait, au 1er janvier 1991, environ 2 500 entreprises (filiales et sous-filiales comprises); celles-ci employaient 1 348 000 salariés et réalisaient, dans les diverses branches industrielles (hors énergie, agroalimentaire et bâtiment et travaux publics), près de 20 p. 100 du chiffre d’affaires de ces dernières. La période récente a vu les entreprises du secteur public affirmer fréquemment la nécessité d’exercer leurs activités économiques selon des exigences de rentabilité naguère réservées aux seules entreprises privées. La taille des premières, généralement importante, les distingue cependant au sein d’une économie française qui compte une immense majorité de petites entreprises: sur 3 125 000 établissements, au 1er janvier 1989, 94 p. 100 employaient moins de dix salariés. À la même date, les mille plus importantes entreprises du pays, en termes d’effectifs, employaient près de 3,8 millions de personnes (33 p. 100 du total des effectifs), tandis que les mille premières en termes de chiffre d’affaires représentaient 38 p. 100 des chiffres d’affaires cumulés de l’ensemble des entreprises soumises aux bénéfices industriels et commerciaux.
La classification traditionnelle entre "petites", "moyennes" et "grandes" entreprises privées n’est d’ailleurs pas fondée sur des critères satisfaisants. On peut en effet prendre en considération la puissance financière résultant de l’importance des capitaux propres figurant au passif des bilans publiés; ou la puissance commerciale, en tenant compte seulement du chiffre d’affaires; ou la dimension sociale, en dénombrant les salariés. D’autres clivages, moins évidents, résulteraient du statut juridique (sociétés de personnes et sociétés de capitaux, mais aussi, parmi ces dernières, sociétés anonymes et S.A.R.L., S.I.C.A.V. et sociétés en commandite par actions, etc.), du statut fiscal (entreprises assujetties ou non à l’impôt sur les sociétés, entreprises admises ou non au bénéfice du forfait, etc.), des liens économiques ou financiers et de leur zone d’influence (holdings, participations, cartels, etc.), des caractères proprement sociologiques (entreprises dites "familiales" et entreprises de type bureaucratique, management "à l’américaine" et gestion paternaliste, etc.), enfin des liens avec l’État (groupes de pression), avec l’étranger (succursales, filiales), et de la valeur patrimoniale, elle-même complexe (valeur de capitalisation boursière, valeur mathématique de rentabilité, valeur de fusion, etc.). D’autres paramètres de classification pourraient intervenir: le degré de spéculation, d’intégration, d’autonomie financière, le nombre et la variété des produits et sous-produits fabriqués ou commercialisés, la part du marché contrôlée par l’entreprise, l’importance de son cash-flow, de son taux annuel d’expansion, le nombre et la répartition géographique de ses établissements, etc. Parmi les grandes entreprises, l’écart de dimension entre l’affaire américaine et l’affaire européenne était encore très grand au début des années soixante-dix. Ce n’est plus vrai aujourd’hui, si l’on se réfère aux classements selon le chiffre d’affaires publiés annuellement (Fortune , L’Expansion , Le Nouvel Économiste , etc.): quarante et un des cent premiers groupes industriels mondiaux étaient, en 1990, situés en Europe communautaire, contre vingt-huit aux États-Unis et dix-huit au Japon. La France (dix groupes) venait après l’Allemagne fédérale (treize groupes), avant le Royaume-Uni (sept), l’Italie (cinq), les Pays-Bas (trois), l’Espagne (deux) et la Belgique (un); il est vrai que le premier des six groupes français classés parmi les cinquante plus importants dans le monde, ne se trouvait qu’en vingt-huitième position (Elf Aquitaine).
En fait, l’entreprise peut être appréhendée de plusieurs manières. Pour l’économiste, elle résulte de l’agencement de facteurs différents: travail, capital, nature; pour le sociologue, elle est une distribution de rôles et de statuts; pour le financier, elle est une source de profits et d’investissements; pour le juriste, elle est une variété de contrat; pour la puissance publique, elle est un contribuable, un instrument d’expansion économique et le siège de divers conflits sociaux (grèves, revendications diverses); pour l’opinion publique, elle est d’abord une "image". La gestion d’une entreprise ne peut donc pas revêtir la même signification pour tous. Derrière les techniques subsiste une dimension "affective" considérable: aucun entrepreneur capitaliste ne prétend et ne croit travailler exclusivement pour le profit, mais aucun chef d’entreprise ne pourrait durablement assumer ce rôle en méprisant le profit. Cependant l’entreprise doit à chaque instant composer avec l’État, ses dispositions fiscales, monétaires ou financières. Cette circonstance ainsi que l’éthique de ses dirigeants, les caprices de sa clientèle, les exigences de son banquier, les tribulations de la conjoncture infléchissent la pure rationalité de tous ses calculs.
Car il n’est pas de définition univoque de la rationalité économique et, donc, de la meilleure démarche pour atteindre le profit maximal. Le style de gestion n’est pas un, qui permettrait de choisir à coup sûr entre les différentes stratégies du profit maximal: à court terme et à long terme, en visant le plus avec les plus grands risques (maximax) ou un minimum aux moindres risques (minimax), en refusant ou en intégrant tel ou tel type de contrainte extra-économique, comme le climat des relations humaines dans l’entreprise, le degré de satisfaction des salariés, des cadres, des actionnaires, des obligataires, des fournisseurs et des clients, la sécurité des emplois, le prestige de la marque, l’indépendance financière et politique, la pérennité de l’entreprise dans un marché aux dimensions mondiales.
Ainsi, le "management" moderne, l’application systématique de la plupart des techniques scientifiques de gestion résultent-ils de l’"environnement". Malgré une très réelle généralisation de la réflexion sur l’entreprise, au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, il faut reconnaître qu’en Europe les grands groupes intégrés, capables de s’adapter presque chaque jour à l’innovation, sinon d’en permettre le déploiement, sont les plus à même de mettre en œuvre toutes les possibilités ouvertes par les techniques nouvelles de management.
En fin de compte, si beaucoup d’éléments socio-économiques interviennent pour qualifier la gestion d’une entreprise – en particulier sa rentabilité et son taux d’expansion, sa vulnérabilité commerciale et financière et l’importance de ses responsabilités sociales –, c’est encore la structure de pouvoir qui paraît constituer le critère décisif. Il y a déjà longtemps que théoriciens et praticiens de l’entreprise, tirant les leçons de l’évolution même des marchés, se sont accordés technologie, marketing, statistique, économie, droit commercial et bancaire, fiscalité, mathématiques financières, calcul des probabilités, comptabilité analytique, psychosociologie et informatique. Une très forte culture générale précédant une spécification très poussée sera de plus en plus nécessaire aux cadres supérieurs et, dans une moindre mesure, au middle-management . La formation permanente de ces cadres (recyclage) est largement entrée dans les mœurs à la fois sur l’inéluctable mouvement de concentration qui aboutit à des unités de très grandes dimensions et sur la mise en place, en conséquence, d’une gestion décentralisée en regard de laquelle le mode de commandement traditionnel, rigide et centralisateur, encore familier aux petites entreprises de type paternaliste, paraît définitivement périmé. Cette évolution du pouvoir, nullement incompatible d’ailleurs avec l’unité de commandement, traduit sous des formes diverses l’effacement relatif à la fois des actionnaires, de la main-d’œuvre non spécialisée et du "patron" omnipotent, au bénéfice des dirigeants et des cadres supérieurs. C’est, comme on a pu l’écrire, l’"ère des organisateurs" qui s’est installée. Quelle que soit son appellation – décentralisation des pouvoirs, "direction participative par objectifs", technocratie –, elle sanctionne la fin progressive de l’empirisme, du seul "flair" dans les affaires, de la petite dimension (sauf dans certains secteurs, telles les prestations de services), du népotisme familial, de la primauté de la fabrication sur la vente, du financement de l’expansion à partir de capitaux en majorité étrangers au bénéfice d’exploitation, de la hiérarchie rigide, de la rentabilité limitée, de l’esprit routinier et conservateur.
On peut penser que la gestion des entreprises (management), qui ressemblait assez à un art à tous les niveaux de responsabilité au siècle dernier, n’est restée telle qu’au sommet du commandement, là où il n’est désormais question que de stratégie. Pour ce qui est de la tactique, la plupart des aspects modernes de la gestion des entreprises relèvent de la science et plus précisément de l’interdisciplinarité entre des sciences bien différentes:Parmi les caractères majeurs de cette évolution récente du management, on retiendra: en premier lieu, l’effondrement d’une conception militaire, bureaucratique, ou paternaliste de la gestion, au bénéfice d’un style différent de relations humaines, procédant de la décentralisation, des responsabilités et des pouvoirs; en second lieu, l’apparition d’une exigence qui prime désormais tous les problèmes de production, à savoir la nécessité de vendre et de savoir, d’avance, à qui, quand et par quels moyens, dans un double contexte de marchés de plus en plus ouverts et de demande solvable rare. Cette priorité de la vente sur la production a ainsi engendré une science à peu près inconnue dans l’Europe d’avant guerre: le marketing. Mais promouvoir l’expansion signifie aussi qu’on transformera complètement les relations dans l’entreprise, en adaptant celle-ci aux découvertes de la dynamique des groupes. L’impératif de l’innovation, l’adaptation de fréquence élevée à un environnement mouvant, la compétition sur une échelle élargie, l’établissement du contrôle budgétaire et l’utilisation de la comptabilité analytique, les préoccupations sociales du chef d’entreprise, enfin et surtout l’extraordinaire développement de l’informatique: toutes ces circonstances influent sur les structures mêmes de pouvoir dans l’entreprise.
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